(Lu dans un dossier réalisé par Claudine Abitbol
et Maurice Beaudoin au Figaro Magazine du 28e octobre 2006)
Les tripes, c'est chic ! S'étonner ou feindre la curiosité,
mais, surtout, pas de moue devant la queue de bœuf d'Eric Fréchon (Le Bristol),
la tête de veau de Jean-Pierre Vigato (L'Apidus) et la langue de bœuf de Joël
Robuchon (« Bon appétit bien sûr », sur France3). Ces plats tiennent le haut de
l'affiche présidentielle : Jacques Chirac adore la tête de veau, François
Mitterrand raffolait des rognons, Catherine Deneuve plébiscite la tête de cochon,
Josiane Balasko, les pieds de porc panés. Ces spécialités ont pris du galon en trois
ou quatre ans, passant des arrière-cours de bistrot aux nobles tables des chefs
étoilés. Du dernier cri ! De l'authentique.
Nouvelle trouvaille, l'oreille de cochon panée et ses
tomates vertes. Chic et cher. Le classicisme du lièvre à la royale en prend un coup.
Et pendant ce temps, les incorrects « abats » (foie, cœur, langue) se muent en «
produits tripiers ». Politiquement corrects. Une dénomination voulue, et martelée
depuis six ans, à l'automne : «Novembre, mois des produits tripiers », par une profession
bien décidée à revoir une image de marque anéantie par cette sacrée vache folle!
Redécouvrir ces morceaux dits de « cinquième noblesse », aux vertus diététiques
et nutritionnelles autour de recettes goûteuses et rigolotes.
Consommer ces morceaux choisis, et « prendre son pied
» reste néanmoins transgressif et relève d'une certaine sophistication du goût tant
ces produits finement typés présentent des textures surprenantes. C'est assez snob
! Entre aficionados, on jubile devant les tétines au persil, l'oreille de porc frite,
le groin pané... On salive devant les ris de veau sautés, la joue de bœuf confite,
la langue en brochette, les beignets de cervelle ou le croustillant de pied de
veau. C'est un club. Une façon de penser la fourchette. Une recherche du
goût. Origines sociales ou géographiques
confondues. Ça crée des liens quand on « les » aime. Les convaincus, des goulus
« pas coincés », aiment la table, les produits de terroir, le vin, la croûte de
pain, les fromages au lait cru, les cigares, les cognacs, les crus de
chocolats, les cafés d'origine, chargés d'histoire à raconter, à partager.
Pour eux, manger c'est du bonheur. De la cultura !
Ils aiment éplucher, cueillir, semer leur herbes aromatiques sur leur balcon,
n'achètent jamais de plats cuisinés et détestent les « restaus » branchés. Ils se
suffisent d'une tartine à condition qu'elle soit bonne. Le commerce équitable et
les produits « bio » les font doucement glousser. Au fond, ils restent un peu rebelles,
provocateurs et se régalent de testicules (les animelles ou rognons blancs), un
mets des plus subversifs. Ça dérange, ça bouscule, mais ça reste consigné à l'assiette.
« C'est la toute dernière conquête féminine du XXIe siècle », souligne
Michèle Villemur, auteur de Plats canailles
(Editions Aubanel). « On brave avec plaisir, c'est une provocation gourmande. »
Gérard Cathelin, président de la filière, se souvient
des « forts des Halles, ces hommes robustes, qui dévoraient leur casse-croûte aux
rognons dès six heures du matin ». Des plats de gaillards. Manger des tripes,
des abats, s'encanailler, une activité masculine, dont lès femmes s'emparent. L'édition
s'en fait l'écho et nous livre ses « frivolités », avec la sortie de Testicules de Blandine Vié (Editions de l'Epure),
un livre de recettes mais aussi de sociologie (mythologie) et d'histoire du produit
(littéraire ou langagière). Unique.
« Les tapas de produits tripiers sont porteurs
d'émotions, de surprises, de décalages », souligne Alexandre Camas, cofondateur
du mouvement Fooding. « De plus, c'est rare, drôle et inattendu. » En tout cas,
ça fait oublier les mauvais souvenirs de la cantine de notre enfance (rognons-purée,
souvenez vous...). Ce sont aussi des nourritures nostalgiques comme ce retour aux
« légumes anciens », topinambours, panais ou crosnes, méconnus, oubliés ou mal aimés.
Une belle revanche. Un vrai pied de nez !
Abats « rouges » ou abats « blancs » ?
Le « rouge» ne
désigne pas sa couleur, mais signifie qu'il est cru. Le « blanc », que le morceau
est cuit et préparé (échaudé, blanchi...). Dans les produits tripiers rouges on
trouve : le foie, les rognons, la rate, le cœur, la langue, le museau ou groin,
les onglets, les ris, les joues, la cervelle, vendus crus. Dans les « blancs» :
l'estomac, les pieds, les intestins, les mamelles, la tête, vendus déjà
préparés (tête de veau, tripes à la mode de Caen, etc.)
L'amour aux tripes
Les abats font partie de la catégorie des aliments
« sexuels ». Les abats (foie, langue, rognons), le gibier (le cerf, le daim), les
champignons (truffes, cèpes...) et les coquillages (moules, huîtres), voire
certains fromages puissants qui présentent des formes, des textures et des odeurs
proches du corps: humus, sous-bois, fourrure, cuir.
C'est une même famille d'odeurs sexuelles et naturelles
(les hormones). On entretient un rapport instinctif avec ces aliments et l'on peut
éprouver une répulsion ou bien, au contraire, une attirance assez troublante. Peut-on
pour autant en déduire, à coup' sûr, que les gens qui n'aiment pas ces produits
n'aiment pas le sexe ? Ça donne à réfléchir !
Pas plus caloriques que le
poisson
Riches en vitamines et minéraux, diététiques, les abats
tordent le cou aux idées reçues. Ils ne sont ni « pauvres » ni « gras ». Au contraire.
Les rognons, le cœur, le foie et l'onglet sont des vrais « Popeye ». Du fer, quatre
à cinq fois mieux absorbé que celui des céréales, des légumes, des œufs et autres
produits laitiers... Côté calories, les abats sont « maigres » et riches en protéines.
Repas minceur et bonne chère, donc, autour des tripes à la mode de Caen, du foie
de veau ou du cœur de bœuf, à peine plus caloriques que le poisson. Le zinc contenu
renforce les défenses immunitaires, le cuivre lutte contre les infections, le sélénium,
contre le vieillissement. Ils donnent le « coup de fouet » nécessaire à l'approche
de l'hiver (vitamines B et C), assurant aussi la beauté de la peau et des cheveux
(vitamines B5 et A), fixant le calcium, idéal pour les enfants en pleine croissance
(vitamine D) et renforçant les os (vitamine E et cuivre).
Vrai ou faux? Le saviez-vous?
->Les rognons sont des testicules ?
Faux : les rognons rouges sont des reins.
Vrai : les rognons blancs sont des animelles (testicules)
ou « frivolités ».
->Les ris de veau sont des testicules ?
Faux : c'est une glande de croissance (thymus).
->Le gras double c'est gras ?
Faux : cette spécialité lyonnaise est composée de
l'appareil digestif, trés pauvre en graisse.
->On achète ses produits tripiers chez le
boucher?
Vrai : l'idéal, c'est de passer commande chez son
boucher ou chez son tripier en boutiques ou sur les marchés (classés par départements,
www.produitstripiers.com). Pas d'abats chez le charcutier.
No hay comentarios:
Publicar un comentario